Article
à paraître dans Supérieur Inconnu n°5
(octobre 2007)
Lectures
des auteurs des éditions “Caméras animales”
(A la Galerie MYCROFT, 13, rue Ternaux, près de la rue
Oberkampf, samedi 16 juin 2007, à 20h)
Je sais seulement qu’une trentaine d’auteurs relevant
du bizarre vont lire ce soir. Une petite foule se presse contre
les voitures garées et sur le trottoir devant la minuscule
galerie qui met en évidence quelques livres des éditions
“Caméras animales” dans sa vitrine. Un livre
collectif vient de sortir à couverture dorée. D’autres
présentent le travail d’un seul artiste. Tristan
Ranx, Mimi, Roselyne, sont présents, et ceux qui vont lire,
comme Delamare-Deboutteville, Philippe Boisnard, “TH”,
et bien d’autres. Le premier intervenant (neR) énonce
d’une voix forte les éléments circulaires
du “second théorème” qui n’en
connaîtra aucun autre. Bière et vodka coulent pour
les invités, et les auteurs se pressent à l’intérieur
du local nu, à l’exception d’un bureau métallique
et d’un petit meuble en rotin pour les livres.
Pour l’apparence vestimentaire, c’est un groupe anar,
cheveux longs pour les garçons, tenues cool pour les filles.
Des anars qui auraient rencontré l’informatique et
le monde des “DJ”, extrêmement courtois par
ailleurs. La violence est mimée, et le plus souvent contenue
dans la profération à haute voix de textes qui tordent
les mots usés (celui de “liberté” par
exemple) (Mathias Richard) et qui ont le mordant suffisant pour
débusquer la posture de l’artiste, du poète
en particulier. Le contenu est entrelardé de références
un peu sales, “trash”, où l’organique
et le sexuel servent de sésame, avec une orientation parodiquement
cannibale. Buveurs de sang, ou buveurs de sperme. La soirée
semble flottante alors qu’elle est parfaitement huilée
à sa manière, et chacun viendra, rappelé
à l’ordre d’une “performance”,
exactement à son heure. Un jeune artiste (Joachim Montessuis)
utilise son micro pour des feulements et des souffles retransmis
à travers de grosses enceintes. Les effets de larsen
déchirent les tympans non moins que cette voix. Mais voici
le célèbre “TH” qui réclame son
“caddie” remplie d’un matériel pléthorique
et obsolète. A lui seul il représente une parodie
efficace des performances et des installations financées
par les DRAC et autres organismes. Il commence par offrir à
la ronde un bidon de déboucheur à la soude, non
sans prendre la première rasade. Le goût est étrange…
comme un rite, ou une Eucharistie de l’art à l’envers.
Il extrait de son barda une masse avec laquelle il décapite
le petit robot à boule argentée qu’il avait
patiemment installé. Puis il reprend tout le rituel de
l’installation à l’envers, non sans exhiber
un énorme sac “ED”, puis une brassée
de cartes de VIP, car une de ses spécialités était
de perturber le soirées mondaines et culturelles. En somme,
un certain culte de la destruction, même symbolique, est
partout présent. Démolir et reconstruire sur des
bases moins pourries un hypothétique futur, tel est l’enjeu
néo-punk de ces artistes qui saccagent avec allégresse
les dernières illusions de l’art, et de ses saines
valeurs diffusées au plus grand nombre.
La sono est peut-être démolie : tant pis ou tant
mieux, car les machines désirantes de Deleuze se rebranchent
ici à l’infini des possibles.
D’autres artistes se présentent et s’asseoient
ou se tiennent debout derrière le bureau pour lire ou expliquer
leur travail, comme celui-ci (Philippe Boisnard) qui affirme qu’il
faut maintenant produire le “syntexte du syntexte”,
bref que la machine produise elle-même le texte qui va être
entendu.
Un jeune homme (Christophe Siébert aka Konsstrukt) lit
le récit de son immersion dans le monde des SDF, entre
Fnac climatisé et bancs de square, et il tourne en rond,
nuque inclinée pour lire ce récit, accompagné
par des stridences de clarinette qui le rendent presque inaudible.
Tristan Ranx évoque pour sa part la mémoire du “Vat”
(D’Annunzio) et de Mario Carli dans un beau dialogue. Bref,
on est en pleine création, avec des hauts et des bas, mais
malgré tout sous les auspices de Ghérasim Luca,
d’Artaud, et de Jacques Rigaut. Et la société
de consommation abrutissante, les faux-semblants de la “Culture”
moderne en prennent pour leur grade. Attention ! voici les cannibales,
les nouveaux Apaches aux terminaisons numériques.
MARC KOBER, JUIN 2007
© Supérieur Inconnu